L'artiste belge ZERO Jef Verheyen (1932-1984) s'est fait connaître comme le peintre des flux lumineux et des spectres de couleurs. Il expérimente non seulement la lumière, mais aussi le mouvement et l'invisible comme moyen d'évoquer les mécanismes naturels et de révéler les interrelations universelles entre l'être humain et le monde qui l'entoure. Il a utilisé des principes géométriques - sa passion pour la géométrie est née de son intérêt pour les mathématiques et la philosophie (grecque) - comme base de l'harmonie. Verheyen n'a jamais abandonné les supports et matériaux traditionnels tels que la toile, la peinture et les pinceaux pour rechercher l'essence de notre nature.

Jef Verheyen - Window on Infinity


Window on Infinity - Room 01

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Fenêtre sur l’infini

 

Un tableau peut être bien plus qu’une reproduction de la réalité. C’est ce qui explique que la peinture moderne se lance dans une quête de libération de l’imagination. Les « fenêtres sur l’infini » de Jef Verheyen sont une destination finale de ce voyage exploratoire.

Le Peintre Flamant – comme il se surnommait lui-même (en l’occurrence avec un « t » à Flamant !) – vous emmène à la découverte de ce qui se trouve au-delà de la perception. Il dirige votre regard sur ce qu’on ne peut ni mesurer ni comprendre. Ses espaces contemplatifs vous invitent à sortir du périmètre physique de la toile. 

L’œuvre de Jef Verheyen recèle des dialogues entre différentes traditions artistiques, d’Europe et d’Asie de l’Est. Il relie l’expérience artistique à la philosophie chinoise. Peindre, c’est méditer. Par cette approche, Jef Verheyen, en tant qu’artiste pensant, jette un pont entre l’art moderne, conceptuel et contemporain. 

 


Window on Infinity - Room 02

Scan: CKV - Jef Verheyen Archive

Un langage universel

 

Pendant sa formation à l’académie d’Anvers, le cours de céramique est une véritable révélation pour Jef Verheyen. Il y fait la connaissance de Dani Franque, qui partagera sa vie et avec qui il part à Vallauris pour visiter les ateliers de céramique. C’est également dans ce petit village du Midi de la France que Pablo Picasso avait son atelier. Ils y découvrent les formes élémentaires de cet artisanat séculaire. 

En 1955, Jef Verheyen et Dani Franque ouvrent leur propre atelier de céramique à Anvers. Les murs de leur atelier se couvrent d’images qui leur servent d’inspiration. Picasso y côtoie les sculptures tribales ou précolombiennes. Des danseuses indonésiennes ondulent à côté des peintures rupestres de Lascaux.  

Vers le milieu des années 1950, Jef Verheyen découvre également son amour de la peinture. L’atlas illustré accroché au mur lui rappelle la « fonction primitive » mystique de l’art. Selon ses propres termes : « Tout le monde peut ressentir la peinture, tout le monde parle notre langue, ou du moins tout le monde est porteur des formes primitives ». 


Window on Infinity - Room 03

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Méditer par la couleur

 

Couleur, lumière et texture. Voilà les ingrédients avec lesquels Jef Verheyen vous invite à aborder le vide. Dans sa démarche, il s'inspire de la pensée d’Asie orientale et de l’artisanat traditionnel chinois. Peindre avec une couleur unique (monochromie) ou avec une non-couleur (achromie) ? Cette question préoccupera Jef Verheyen à partir de 1957. Sa rencontre à Milan avec Piero Manzoni et Lucio Fontana fin 1958 renforce ce désir d’expérimenter. Immédiatement après, il programme une exposition avec des peintres monochromes internationaux à Anvers. Ce projet n’aboutira pas, mais une exposition aura toutefois lieu en 1960 dans la ville allemande de Leverkusen. Jef Verheyen et les peintres monochromes sortent de l’ombre. L‘« art sans art » offre une alternative aux touches raffinées des impressionnistes et aux grands gestes des expressionnistes abstraits. Pour eux, seule compte la poésie de la matière pure. De la couleur ou la non-couleur. Parce que, comme l’écrit Jef Verheyen : « Dans un tableau monochrome ou achrome, la lumière doit être plus ressentie que vue ».


Window on Infinity - Room 04

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Pour une peinture non plastique

 

Jef Verheyen découvre comment la toile peut devenir un espace d’expérience. Il décrit lui-même son style comme de la « peinture non plastique ». Par les couches de peinture transparentes qu’il superpose, on dirait qu’il peint avec de l’air. Les coups de pinceau sont à peine visibles. Ce faisant, Jef Verheyen crée des paysages atmosphériques. Un silence cosmique émane de ces environnements sombres et délavés. Les vibrations semblent mettre les espaces en mouvement statique. 

La technique qui consiste à superposer de minces couches de peinture semi-transparente ne date pas d’hier. Au 15e siècle, Jan van Eyck avait déjà recours au glacis dans ses tableaux à l’huile. Le Peintre Flamant veut épurer la technique dans des « portraits » dématérialisés composés de lumière et de ténèbres. 

« La première fois que j’ai exposé à Milan, quand je disais aux visiteurs que je venais du même pays que Van Eyck, Memling, Van der Weyden, Van der Goes et Rubens, ils en restaient bouche bée. Pour mes amis et connaissances en Italie, j’étais tout à coup Jef Verheyen, ‘un giovane pittore fiammingo’ – un jeune peintre flamand. Ils reconnaissaient dans mon travail la filiation de ce qui caractérisait à leurs yeux la pittura fiamminga : la lumière et l’espace ».

Jef Verheyen

 


Window on Infinity - Room 05

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Sentir la lumière

 

« La grande différence dans la manière de concevoir la lumière dans l’impressionnisme et dans l’art contemporain, c’est que les impressionnistes percevaient la lumière comme quelque chose de ‘visible’, alors que nous la voyons comme une chose à ‘ressentir’.  La lumière doit être plus ressentie que vue. C’est davantage une question d’engagement, de participation ».

Jef Verheyen, 1960

 

Par la lumière, la couleur et l’espace, Jef Verheyen veut suggérer l’infini. Cette approche de l’art fascine également de nombreux artistes contemporains. Le KMSKA et le M HKA ont invité Kimsooja, Pieter Vermeersch, Ann Veronica Janssens Carla Arocha & Stéphane Schraenen à enrichir l’exposition d’une de leurs œuvres. 
Leurs installations soulignent le rôle de Verheyen comme explorateur d’une autre approche de l’art. Laissez-vous surprendre par des expériences spatiales insolites.


Window on Infinity - Room 06

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Essentiel

 

En 1964, Jef Verheyen et le poète Paul De Vree se lancent dans le cinéma expérimental. Dans Essentieel (Essentiel), Jef Verheyen peut véritablement représenter les vibrations, les reflets et les tremblotements de la lumière. Pour lui, l’expérience de la lumière est plus importante que le fait de peindre. Dans Essentieel, on voit des aplats de couleur monochromes et des représentations abstraites des quatre éléments : le feu, l’eau, la terre et l’air. Des sons non reconnaissables sont entrecoupés de phrases récurrentes dans différentes langues : 

 

Als de zon zonnig alleen zijn

Off to the cosmos

Plonger dans l’infini

Quiver entirely

 


Window on Infinity - Room 07

Photo: Christine Clinckx / M HKA

 

Une toile avec des réflecteurs en acier inoxydable d’Hermann Goepfert. Une composition avec des surfaces en miroir de Christian Megert. Une sculpture en torsion de Walter Leblanc. Contrairement à ses collègues, Jef Verheyen n’utilise ni miroirs, ni verre, ni acier. Il peint à l’huile sur de la toile de jute et, en tant que peintre, s’en tient aux deux dimensions de la toile. Pourtant, ces œuvres ont un point commun : elles sont en dialogue constant avec la lumière. Jef Verheyen et les artistes ZERO vous invitent à ne pas rester sur place mais, au contraire, à vous déplacer devant leurs créations afin d’activer la lumière et l’espace et de faire vous-même partie de l’œuvre.  

 

 

 


Window on Infinity - Room 08

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Peindre avec de l’air et de la fumée

 

Fumée, flammes, pluie et air. Comment saisir la fugacité de ces éléments ? C’est la question que se posent Piero Manzoni, Yves Klein ou encore Jef Verheyen. Ils explorent les limites de la peinture et cherchent la frontière avec un art plus conceptuel. Le concept ou l’idée derrière l’œuvre revêt à leurs yeux une importance fondamentale. Dans l’œuvre de Verheyen, cela se traduit par des titres tels que Ruimte (Espace) et Niet Ruimte (Non-espace).

Si Jef Verheyen lui-même reste fidèle à l’art de la peinture, en collaborant avec d’autres artistes, poètes et architectes, il explore toutefois d’autres disciplines artistiques. Sa collaboration en plein air avec Günther Uecker, par exemple, est un projet de Land Art avant la lettre. Avec l’architecte Renaat Braem, Jef Verheyen conçoit une installation pour le projet architectural Integratie 64. Verheyen est également un des commissaires de cette exposition – un rôle qu’il assumera à de multiples reprises.  


Window on Infinity - Room 09

Photo: Christine Clinckx / M HKA

De Van Gogh à Verheyen : les chercheurs de lumière

 

Dans des tableaux tels que Zwarte Zomer (L’été noir) ou Permeke, Jef Verheyen peint ce qu’il considère comme l’atmosphère flamande, qui est plutôt sombre. Plus tard dans les années 1960, il se rend au Brésil, au Mexique, en Tunisie, en Espagne, en Italie et en France. Il y cherche la lumière, partout différente.

Un peintre du nord en quête de lumière du sud : Vincent van Gogh l’avait précédé dans cette quête. Dans une lettre écrite en Provence et adressée à son frère en 1889, Van Gogh écrit ces lignes à propos de la lumière du Midi : 

« Mon voyage dans le midi portera des fruits, car la différence de la lumière plus forte, du ciel bleu, cela apprend à voir et alors surtout et seulement même quand on voit cela longtemps. (…) il faut se faire les yeux d’abord et graduellement à l’autre lumière. »

Jef Verheyen, lui aussi, parle dans ses lettres de la magie de la lumière au cours de ses voyages. « Ici, tout scintille ! » Il tente de reproduire sur toile l’essence de ces impressions. 


Window on Infinity - Room 10

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Cathédrales de lumière 

 

Après s’être intéressé à la monochromie et l’achromie, Jef Verheyen se tourne vers la panchromie. Il embrasse toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, avec lesquelles il peint des réfractions de lumière, des cathédrales de lumière et des tondos – autant d’hommages à la lumière.

En 1974, Jef Verheyen part s’installer en Provence. Il écrira à plusieurs reprises sur la « lumière vibrante » si particulière, qui lui inspirera un hommage à l’impressionniste Claude Monet. Toutefois, Verheyen ne se base pas sur la perception sensorielle, mais sur une lumière imaginée en tant qu’idée ou concept. Ici, la lumière prend forme dans le jeu ensorcelant de couleurs cristallines. Selon ses propres termes, Verheyen la peignait « à plat sur un tableau en profondeur ». Sans dimensions, infinie et intangible. Comme un espace. Ou comme une respiration. 

 


Window on Infinity - Room 11

Photo: Christine Clinckx / M HKA

Géométrie et harmonie

 

Jef Verheyen est dans un dialogue incessant avec l’histoire de l’art. Par ses diptyques, triptyques et paravents, il s’inscrit dans une longue tradition. Les paravents chinois traditionnels, eux aussi, requéraient le talent de nombreux artisans spécialisés notamment dans la création textile, la peinture et l’ébénisterie. Dans son paravent à cinq volets, Jef Verheyen explore les limites entre l’art et l’architecture, la peinture et la sculpture, le fonctionnel et le décoratif.

Dans la dernière série de tableaux produits par Jef Verheyen, l’artiste utilise des formes géométriques de base ou des lignes de perspective. Il approfondit ses connaissances des proportions mathématiques et de la philosophie grecque pour créer l’harmonie. Il peint par exemple la forme carrée du mégaron, terme d’architecture issu du grec ancien. Entre 1980 et 1984, il peint des espaces en trompe l’œil où des miroirs en forme de diamants flottent dans l’infini. 

 


Window on Infinity - Room De Keyserzaal

© Carla Arocha & Stéphane Schraenen, photo Pieter Huybrechts

 

« Mechelen Marauder (le Maraudeur de Malines) brise l’espace. Sa forme fugace, transparente, cylindrique prolonge sa rotation dans l’espace. Nous voulons susciter la contemplation en déstabilisant l’espace. Le miroir, objet du quotidien, agit comme élément à la fois attractif et répulsif. L’effet de répulsion varie d’une personne à l’autre étant donné qu’elle brise son image avec tout ce qui croise son chemin. L’œuvre s’étend comme un tourbillon entre la mosaïque circulaire du sol et le plafond vitré – comme une chose qui semble ne jamais s’arrêter ».

Carla Arocha et Stéphane Schraenen, 2023

 

 


Window on Infinity - Room Madonna 2.17

Photo: Christine Clinckx / M HKA

 

Pour Jef Verheyen, la peinture est comme une « liturgie ». Une célébration de la couleur. Il s’intéresse à la symbolique des couleurs, aux émotions qu’elles suscitent et à l’interaction entre couleur et signification. Une reproduction de la Vierge de Jean Fouquet se trouvait sur le mur de son atelierOn peut voir ici côte à côte le diptyque de Jef Verheyen intitulé Lux est Lex et le chef-d’œuvre du 15e siècle, qui faisait lui aussi initialement partie d’un diptyque. Les deux artistes jouent avec le contraste entre le bleu et le rouge, le chaud et le froid. Les chérubins et les séraphins deviennent des aplats de couleur. Le diptyque de Verheyen est un hommage à un tableau qui, par sa modernité, semble surréel. Il aurait tout aussi bien pu être peint aujourd’hui.

 

 


Window on Infinity - Room Profusion 2.11

Photo: Christine Clinckx / M HKA

 

Fiori Oscuri. Littéralement « fleurs obscures », en italien. Comme le titre l’indique, vous êtes face à une nature morte composée de fleurs. Ici, l’artiste n’a pas minutieusement peint des roses rouge foncé, mais uniquement l’idée, la couleur. Le cadre style Renaissance est comme une fenêtre. Une fenêtre donnant sur un champ de couleurs infini. Les fleurs, et par extension notre existence, sont éphémères. Dans ses notes, Jef Verheyen avait écrit à ce sujet que « les fleurs foncées sont aussi sombres que le sang. Le sang de fleurs sombres ».