The Belgian ZERO artist Jef Verheyen (1932-1984) became known as the painter of light streams and colour spectra. He experimented not only with light, but also with movement and the invisible as means to evoke natural mechanisms and to reveal universal interrelationships between human beings and the surrounding world. He used geometric principles – his passion for geometry was born out of his interest in mathematics and (Greek) philosophy – as the basis for harmony. Verheyen never gave up on traditional media and materials such as the canvas, paint, and brushes to search for the essence of our nature. 

Jef Verheyen

Si la mécanisation de l'humanité poursuit son développement en flèche... (FR), 1961
Text

NI L'OMBRE, NI LA LUMIERE,
NI LE MAL, NI LE BIEN NE DIFFERENT :
LEUR NATURE EST UNE ET IDENTIQUE

(Héraclite)

Si la mécanisation de l'humanité poursuit son développement en flèche (phénomène qui se produira), il est probable qu'aucun être humain, sain d'esprit et de corps, ne soit encore capable de réfléchir. Dans une société mécanisée, le temps serait tellement réduit, le rythme de la vie — qui permet de percevoir l'écoulement du temps — tellement accéléré, que l'homme deviendra l'esclave de la sensation immédiate.

En augmentant l'énergie, en réduisant les distances, etc., l'homme a perdu du temps au lieu d'en gagner. Le fait qu'il accélère ou réduit son rythme de vie risque de provoquer une tension trop forte. Oui, l'on exige trop du système nerveux, lequel est en relation avec nos facultés d'observation ; on le veut trop souvent sur le qui-vive ; tout ceci l'affaiblit et précipite notre usure.

Ne trouvant pas de repos, les nerfs s'efforceront de s'adapter ; ceci aura pour conséquence la perte du pouvoir de réflexion et la primauté exclusive de l'observatiion. Réfléchir apparaîtra comme une vertu médiévale. Littérature, musique et autres moyens d'expression exigeant des intervalles d'assimilation, perdront du terrain — et des amateurs, cela va sans dire. Là où le rythme de vie est déjà tendu, lecture et musique sont quasiment abolies. Aucun livre, aucun disque sollicitant la réflexion ne se trouvent chez les soi-disant intellectuels. Ils sont apathiques vis-à-vis des arts qui réclament un temps de concentration. Toute leur énergie est canalisée par ce que l'observation nous transmet de plus frappant : l'image»

Au sud, où le rythme est plus trépidant qu'au nord, la presque totalité de la culture s'exprime grâce à la peinture, l'architecture et le cinéma. Les habitants de ces régions réagissent plus promptement ; les modes sont épousées avec enthousiasme, ce qui explique pourquoi le sud paraît plus moderne que le nord. Les arts plastiques y ont un caractère révolutionnaire et sont d'ordinaire basés sur l'effet de choc. Toute la peinture moderne des pays latins consiste en réactions directes ; c'est la recherche du «coup de poing» que peut vous infliger une couleur, un tableau. La majorité des peintres y vivent à la pointe du transitoire. Leurs tableaux sont une extériorisation agressive de leurs perceptions, d'où leur aspect expressionniste. Leur art, qu'il soit conscient ou non, reste basé sur l'actualité.

Parce qu'un homme, plongé dans une situation, ne peut la dominer entièrement (qui peut, enfermé dans une pièce, voir les murs de extérieur ?), ses tableaux ne seront point médités, mais conçus en fonction d'un point de vue exclusif. Ainsi la peinture latine actuelle n'exige-t-elle guère de réflexion. Dans le nord, au contraire, une œuvre d'art est toujours le fruit d'une longue méditation. Méditer est uniquement possible hors de l'actuel, c'est-à-dire du temps, Il va de soi qu'aux yeux de la plupart une telle attitude apparaîtra comme une forme de régression, voire d'apathie mentale.

Les Nordiques semblent moins enthousiastes, ne font point de bruit, ne parlent pas vite. Cela ne veut pas dire que leur participation à l'actuel ne peut être décisive et prompte. L'action de cet homme n'est pratiquement pas axée sur le monde extérieur. Un tableau n'est que rarement conçu dans l'espoir d'obtenir une réaction du public. En fait le peintre du nord, vivant en marge de la société, est moins conditionné par les caprices des amateurs. Prenons comme exemple Klee et Mondrian. Qui oserait avancer qu'ils sont moins actuels ou modernes que Picasso, Miro ou Marinetti ? L'instantanéité de leurs oeuvres a été remarquée, mais peu connaissent leur valeur ésotérique. Ils font exception ceux qui ont lu et compris leurs opinions philosophiques.

Il est très compréhensible que G. Mathieu parle de l'œuvre de Klee comme d'un « petit humanisme ». Or les tableaux de Mathieu ne révèlent-ils précisément pas une réaction immédiate, uns absence de recul ? Son extériorisation dégénère même en exhibitionnisme. Il demande consciemment, ou inconsciemment, une participation directe à son action créatrice. En un certain sens, Mathieu s'efforce de peindre contre la méditation et le temps physique. Bien qu'il emploie le signe, lequel n'a qu'un intérêt ésotérique, il a oublié l'ésotérisme. L'ésotérisme n'est-il cependant pas à l'origine de la réflexion ?

Le fait que l'exhibitionnisme n'eut jamais beaucoup d'adeptes au nord, prouve qu'on s'y oriente vers l'essentiel. On s'y occupe peu de l'acte créateur, de soi-même. La méditation compte plus de disciples que l'observation directe. Les peintres véritables dérobant leurs travaux à la collectivité, et n'attendant pas le verdict d'un public enclin aux modes, restent inconnus et peu désirés dans les villes où tout se déroule sous le signe de l'activité..

La Mecque de la Culture à la Mode, où pratiquement chacun s'imagine incarner la culture elle-même, juge que tout ce qui se trouve en dehors est quantité négligeable (c'est-à-dire 3 milliards d'hommes !) Qui n'habite Paris ne peut être bon peintre, puisque le feu sacré n'est distribué que par la mode parisienne. Tout ce qui n'est point basé sur l'actualité n'est pas compris de ces autruches de la politique. Toute l'histoire de l'art moderne est amoindrie : Kandinsky, Mondrian, Klee, Malevitch, Macke, Marc, les futuristes italiens, les expressionnistes allemands et flamands. « Go home ! » s'écriaient-ils à la vue des peintres américains. Et enfin : « En Belgique, il n'y a pas de peintres » ; oui, en effet, rien que du superflu qui ne se voit éclairé par l'astre de Paris. Ne l'oublions surtout pas : « Diminuer le grand, augmenter le petit, c'est la joie du peuple ».

1961

 

Published in

De Tafelronde Vol. 8 (1963) Nr. 3: p. 29-31.
Art Actuel, 3ième année, n. 19, 1961: n.p.