The Belgian ZERO artist Jef Verheyen (1932-1984) became known as the painter of light streams and colour spectra. He experimented not only with light, but also with movement and the invisible as means to evoke natural mechanisms and to reveal universal interrelationships between human beings and the surrounding world. He used geometric principles – his passion for geometry was born out of his interest in mathematics and (Greek) philosophy – as the basis for harmony. Verheyen never gave up on traditional media and materials such as the canvas, paint, and brushes to search for the essence of our nature. 

Jef Verheyen

Essentialisme (FR), 1958
Text

Jef Verheyen

ESSENTIALISME

 

Il est bon de vivre en ces temps-ci. Un tournant s’ annonce qui sera essentiel dans l’Histoire. Il semble que tout incline vers sa juste valeur. Même la peinture authentique ne sera plus achetée par snobisme mais bien par amour. Les amateurs rétrogrades ne surchargeront plus leurs cimaises par goût de la spéculation. Parmi toutes ces valeurs nouvelles, «épurées, comment feraient-ils pour s’y retrouver ?

Essentialisme.

S’isoler.

Aracher ses sens aux forces de la matière.

S’unir totalement aux vibrations supérieures.

A l’essentiel.

Rouge, noir, blue, ou blanc.

Devenir fou d’une couleur.

Tomber, s’envoler dans l’espace.

Mouvement signifie disharmonie. Toute chose, une fois son harmonie brisée, s’ efforce de revenir à son état originel. Pareille tentative s’ appelle action. Mouvement signifie temps (voici qu’affeleure le dimensionnel) entre deux harmonies ; par exemple :naissance et mort. Le mouvement est incomplet ; il n’est réalisable que si l’on s’est posé un but. La définition de ce but implique une possibilité de mouvement. Liberté de mouvement. Un fil à plomb, arraché à sa position verticale, oscillera jusqu’au moment ou il reviendra statique. Une cible de couleur lorsqu’on la fait tourner, devient achrome à partir d’un point qu’on pourrait appeler statique.

L’harmonie est statique.

Le statique est achrome.

L’achrome sa confond avec l’espace.

L’espace est liberté.

La liberté se fonde sur une essence.

L’idée se révèle ainsi dans la réalité et dans le variété de la nature. Elle ne perd toutefois rien de son unité parfaite et de son caractère absolu, indépendant de toute manifestation sensible.

De même que la lumière est présente en chaque lieu et demeure partout: une et la même, de même l’idée, une et indivisible, se communique-t-elle à tous les êtres qui l’expriment – ainsi en est-il dans la doctrine platonicienne:

La réalité sensible n’existe pas en elle-même, elle n’existe que par participation, elle s’efface devant l’idée qui est son éternel exemple.

L’essence est transcendentale.

La peinture essentielle est adimensionnelle. Sa liberté totale découle d’une absence de contrastes de formes et de couleurs, d’écarts et de révélations temporelles. Dans le monde des essences, on ne décèle pas point d’oppositions.

Toutes les essences sont transcendentales.

En elles confluent des entités autonomes ou adimensionnelles.

Ce qui est grand implique ce qui ne l’est point ; l’ordre n ‘existerait pas sans désordre. Le chaos n’étant plus présent dans l’équilibre planétaire, il en résulte que le chaos fut. Ainsi donc le cosmos est-il porteur d’un principe de chaos.

Le cosmos est l’espace.

L’espace est achrome – aussi bien le blanc que le noir.

On ne connaît pas un petit carré si, auparavant, on n’en a pas appréhendé un plus grand. Toutefois si le carré existe en lui-même, libre de toute mesure, gardant son caractère indéfinissable. Nous sommes tous porteurs des principes carré, cercle, couleur. Essences = Notions adimensionnelles.     

Les essences sont indépendantes de la matière et du temps.

Etre libre de la manière est essentiel. Néanmoins toute essence se réfléchit dans le moi. Le moi s’entrouvre à tout l’existant. La réalité sensible inclut te tout. Et le moi contient cette totalité.

Ce qu’on appelle le vide, « le Rien », est le lieu ou se manifestent les essences. Ce rien implique forcément le tout, le tout s’identifie aux essences – et celles-ci se réfléchissant dans le moi. 

Le moi ouvert à la totalité connaît la liberté originelle.

En fait, ce n’est pas Yves Klein qui « invente » la monochromie ou l’achromie. Il y déjà vingt-neuf ans, Paul Klee posait le principe : « Schwarz darstellen ».

La primordiale notion du noir chacun la porte au fond de soi: mais pour la découvrir, il faut s’être libéré de la manière, du matériau, de tous les procédés en usage : tachisme et autres façon de patauger.    

« Il faut enduire». Dubuffet et les autres croûtards s’exténuent à creuser loin de toute essence. Avec Pollock, Jorn et leurs suiveurs, la situation s’aggrave encore davantage. Une grande palette et une boîte à couleurs richement fournie ne font pas le peintre. On ne crée point de chef-d’œuvre si l’on n’a pas, au préalable, approfondi les harmonies primordiales: on passe à côté de la révélation picturale qui dévoile à l’homme un espace de rêves inépuisable. Tels sont les sentiments que le génie vous insuffle, mais que le commun des mortels ignore, lui n’a pas fait l’effort de s’initier aux langages des essences. Seul l’enthousiaste deviendra maître de lui-même, car en s’appliquant aux processus de la création artistique, il pourra tout à la fois les contrôler et en jouir. En éduquant ses sens il atteindra à l’extase lucide, laquelle demeurera interdite au profane. Il découvrira ainsi les sources des puissances vitales – les harmonies, la vibration sur place, le «mouvement stable». Alors seulement il goûtera cette lumière que le plus délicats aux-mêmes ne savent se représenter. C’est dans l’intimité réfléchie de ce qui échappe au langage que le vérité se fera jour.

 

Milaan nov. 1958 

 

Published in


Art Actuel International a. 2 nr. 13 (1959) (p. 3)