The Belgian ZERO artist Jef Verheyen (1932-1984) became known as the painter of light streams and colour spectra. He experimented not only with light, but also with movement and the invisible as means to evoke natural mechanisms and to reveal universal interrelationships between human beings and the surrounding world. He used geometric principles – his passion for geometry was born out of his interest in mathematics and (Greek) philosophy – as the basis for harmony. Verheyen never gave up on traditional media and materials such as the canvas, paint, and brushes to search for the essence of our nature. 

Jef Verheyen

Pour une peinture non plastique (FR), 1959
Text

Pour une peinture non plastique

 

La lumière du soleil est la matière; elle est la couleur et la lumière de celle-ci; elle constitue le plein et ce qui l’entoure; sa chaleur fonde son existence, sa réalité.

 

 

  Newton divisait la lumière solaire blanche. Il démontrait ainsi que la clarté se partage en quantités diverses: les couleurs.

  Einstein affirmait : lumière implique énergie ; l’énergie possède une masse lente, par conséquent lourde. Ainsi le rayon lumineux décrit-il, sous l’influence de la gravitation, un tracé courbe, contraint par le soleil à se mouvoir en forme d’ellipse.

  Lumière et chaleur sont consubstantielles. Le soleil ne peut propager sa température dans une direction unique, puisqu’il transmet des ondes tout autour de sa masse – ondes qui refroidissent ou réchauffent l’atmosphère qui nous enveloppe. Soumis à cette action, les gaz ambiants adoptent une couleur conforme à leur degré de température. L’emprise du froid, elle, solidifie les éléments à l’encontre de la chaleur qui rend l’air plus léger. Ainsi la galaxie peut-elle être une masse solide, qui, se mouvant autour de l’axe solaire, se voit diluée par l’intensité de son rayonnement. Du plus haut degré de chaleur (le blanc absolu) jusqu’au plus grand refroidissement (de l’achrome au noir).   

  Toute couleur est un indice précis de température. A midi le soleil occupe son point le plus élevé, chaleur et clarté culminent ; puis il incline progressivement vers le jaune, et, le soir venue, il devient rouge. Pendant que nous sentons diminuer sa chaleur, la terre a effectué un quart de cercle. Et quand l’atmosphère, entre l’astre et nous, s’est condensée dans le fléchissement général de le clarté, cela signifie un refroidissement qui s’exprime dans le passage de l’achrome au rouge.

 

  Une lumière définie, transmise par un élément connu, sous entend un nombre déterminé de vibrations par seconde. Son ralentissement veut dire que la vibration isolée dure plus longtemps, et que le nombre de toutes les vibrations par seconde diminue. La longueur d’onde augmente, devient plus froide en conséquence, et la lumière plus rouge. Cela prouve que la partie la plus chaude est la plus claire ; en refroidissant, celle-ci tourne au rouge, et, du même coup, elle s’alourdit, s’assombrit. La pesanteur ou valeur d’une couleur ets donc en rapport avec sa chaleur. Et la gravitation étant chaleur, la lumière doit être assimilée à se ce mouvement universel. On peut dire que la lumière contient une masse pondérable, composée de longueurs d’ondes vibrant selon leur température – ou couleur.

  Dans la clarté solaire toute chose reflète un nombre de vibrations proportionné à sa quantité vibratoire. Une masse rouge irradie du rouge, etc. Ce qui est renvoyé détermine l’apport de chaque élément. Le bleu réfléchissant moins de vibrations que le rouge, sa perceptibilité nous paraît plus froide ; il enferme donc plus de masse lourde –ou lente. Le bleu vibre plus lentement et s’affirme plus dense, moins spatial que la jaune. Au-delà du jaune, la lumière atteint à sa plus forte intensité. Ses vibrations s’accroissent à mesure que la clarté augmente. D’ou la conclusion que le soleil doit être exempt de matière lourde, absolument transparent, immatériel.

  Déterminée par une température d’à peu près 5 milliards de degrés, la vibration solaire s’affirme telle une vibration totale. Les vibrations atteignent ici à une vitesse égale, ce qui les rend statiques à nos yeux, simultanées ou intemporelles. (« L’espace absolu, indépendant par sa nature de toute relation à des objets extérieurs, demeure toujours immuable et immobile » - Newton).

  La lumière artificielle prive les couleurs de leurs vibrations exactes; aussi sont-elles inégalement divisées. Eclairé par une source de lumière jaune, le bleu ne peut rendre sa valeur propre : il devient brun cependant que le rouge, lui, se réchauffe.

  Dans la lumière artificielle les rapport des vibrations et de la chaleur sont identiques. La couleur s’y manifeste dans son ambiance naturelle. Elle y reçoit sa juste proportion, ses vibrations étant statique  vis-à-vis de sa source. Enfin les couleurs ne seront harmonieuses que si les vibrations réfléchies, renvoyées et absorbées, correspondent à leur entourage. La couleur n’existe que si elle demeure statique.

  La photographie traduit les tonalités, jamais le couleur elle-même. Elle définit le spectre des couleurs de façon mécanique. Toute sensibilité toute vie fait défaut dans le spectre gris, à cause du manque de chaleur que nous subissons dans le spectre naturel. Les couleurs vivantes, en harmonie avec leur degré de température, représentent les dimensions idéales de la couleur, fondamentale. Par l’action de sa chaleur , toute couleur  imprègne la pensée d’une qualité intrinsèque. Du manque de chaleur il résulte que, dans un spectre gris, le vert et le rouge  se ressemblent. C’est sous l’action du chaud et du froid  que nous réagissons au spectre des couleurs. Le centre est situé entre le jaune et le bleu, et la quantité de matière s’y trouve en équilibre avec son contraire : la transparence la plus absolue.  Pareil phénomène est facile à observer dans la nature : les plantes sont vertes, mais supposez un instant qu’elles seraient rouges , jamais plus nous ne goûterions de repos, la longueur d’onde étant trop élevée, trop tendue. Le ver, en revanche, n’est ni chaud, ni froid. La neutralité de cette couleur l’empêche d’irriter nos sentiments – elle nous détend, elle nous permet de vivre en harmonie avec notre entourage. Quoi qu’étant des valeurs intermédiaires, le mauve, le vert et l’orange n’exercent pas une action identique. Le rapport entre le jaune et le rouge est plus léger, plus chaud, que le milieu entre rouge et le plus bleu qui se trouve en-deçà du rouge.

  Par son absence de chaleur, le noir ne provoque aucune vibration, absorbe toute vie.

  Si le blanc est la température la plus haute qui soit visible (la couleur la plus claire), le noir doit être assimilé à la plus forte réfrigération – une masse non vibrante, dépourvue de vie, morte à la lumière ; une matière compacte.

  Il nous est également loisible de subdiviser les couleurs grâce leur qualité ou rapports : matière et transparence absolue.

  Notre pensée oscille entre le blanc et le noir, le clair et l’obscur, le tout et le rien. Nous employons ces indices comme autant d’oppositions isolées les unes des autres. Nous divisons notre pensée. Toute chose étant conditionnée par son voisinage, L’UN ne peut exister sans L’AUTRE.

  ENSEMBLE ILS DOIVENT ETRE EGAUX, SIMULTANES, INTEMPORELS, UNE CHOSE N’EXISTE QUE DANS LA NON_DIMENSION, LA LUMIERE SOLAIRE ETS LA MATIERE. LA COULEUR ET SA LUMIERE EN MEME TEMPS. C’EST L’INTERIEUR ET SES ALENTOURS.

  Les corps diaphanes absorbent un nombre déterminé de couleurs et réfléchissent en retour. La somme des vibrations réfléchies forme le couleur de ces corps. De la lumières déclinante une partie de cette somme est soustraite : les vibrations renvoyées indiquent le nombre qui demeure.

  Le rayonnement de la lumière produit un entourage vibrant, dans lequel un corps essaye de s’adapter et d’émettre des vibrations correspondant à cet entourage. De l’interaction entre ce corps et le milieu, ambiant surgit la notion concrète de couleur. Ainsi l’harmonie n’est elle pas possible que si les vibrations qui émanent des choses et de leur entourage sont identiques.

  A cause de leur température ou longueur d’ondes, de leur potentiel vibratoire, les couleurs exercent une influence prépondérante sur la sensibilité. N’est ce point grâce à sa couleur qu’un tableau nous influence ? nous sommes, par conséquent, capables de lui attribuer sa valeur affective à partir de l(intensité du matériau. Ceci n’empêche pas que la majorité des peintres se plaignent de L’INSUFFISANCE de la couleur. Tous ils s’efforcent d’obtenir une expression coloriste personnelle. Et cependant, aucun d’entre eux ne s’attache à découvrir la valeur exacte d’une couleur. Ils usent de la peinture sans connaître la nécessité qui conditionne les relations des tons. Au lieu d’étudier la couleur en tant que telle, ils syntonisent leur science sur les matériaux qu’ils ont a portée de la main. Rares sont ceux qui essayent d’attribuer à une couleur son maximum d’efficacité. Répétons-le : il est possible de définire une couleur en subdivisant ses rapports en matière compacte et en transparence absolue, c’est-à-dire immatérielle.

  Toutefois, si une couleur ne peut être divisée, il nous est néanmoins permis de la saisir dans son unité et de définir son degré de chaleur.

  L’action vibratoire évoluant sans cesse, le milieu ambiant provoque en nous des tensions, lesquelles seront, soit en harmonie avec ledit milieu, soit en train d’exercer cette disharmonie, nous réagissons en cherchant la somme des vibrations. Ne la trouant pas, nos vibrations demeurent chaotiques. Ceci jusqu’à l’instant où nous pénétrons dans la zone de l’émetteur. Le contact établi, nous vibrons simultanément, statiques en quelque sorte, avec ce qui est émis. Cette vibration devient la nôtre et vice-versa. Nous obtenons une identité et devenons unité indivisible, en – harmonie. Si cette action était inconsciente, l’intuition nous a guidés vers l’émetteur que nous ressentions sans le connaître.

  Les tachistes livrent une image fidèle de cette expression chaotique. L’émetteur pressenti, ils se meuvent néanmoins sans but défini. Grâce à leur intuition, ils se voient absorbés par les vibrations qu’émet une énergie bien déterminée. Désireux d’obtenir une harmonie, ils tâtonnent jusqu’à trouver un semblant d’équilibre. Si leur intuition qui dégage parfois une force authentique ne les guide pas vers l’émetteur, ils produisent encore quelques tableaux, certains non sans qualités, mais bien vite ils retombent dans une division interne, laquelle minera les fondements même de leur art. une telle peinture est le produit d’un BONHEUR D’INSPIRATION plus ou moins soutenu.

 

 

LES MOUVENMENTS NE SONT POSSIBLES QUE S’ILS ONT UN BUT DEFINI . LA CONNAISSANCE DE CE BUT SUPPOSE UNE POSSIBILITE DE MOUVEMENT QUI PORTE EN SOI SA LIBERTE D’ORIENTATION.

 

 

  Est-il toutefois possible de chercher sans but? D’abord naît la nécessité de la recherche, après quoi l’on trouvera. Mais comment se diriger si l’on n’est pas libre? Ainsi l’intuitif est-il régi, la plupart du temps, par des sautes d’humeur et des caprices n’enfermant aucun dessein soi disant dissimulé. Son art devient un témoignage sur son ignorance.

  Je crois que si l’on a la prétention d’être peintre, il faut d’abord avoir un but auquel on a donné une définition précise. Il faut savoir ce que l’on entreprend, être conscient des exigences, de sa vocation. Pour ceux qui vivent dans le sphère de l’art, la peinture trouve en elle-même son déployement. Nous devons distinguer le défini et l’indéfinissable ; nous devons devenir conscients de l’existence de l’essentiel. Et c’est parce qu’il touche à l’essentiel que l’art  de peindre échappe au défini; quoique sans dimensions, il devient existentiel par la couleur. La couleur qui est découverture de l’essentiel.

  Pour appréhender l’autre, nous devons être pleinement nous-mêmes. N’existons nous pas en lui ? nous devons être conscients de notre entourage afin d’établir une interaction harmonieuse, basée sur l’équilibre des rapports mutuels. Une chose statique vis-à-vis de ce qui l’entoure (ou le milieu s’efforçant d’être en harmonie avec la chose) peut obtenir une harmonie durable. La grande difficulté réside toutefois dans le fait que notre milieu  nous demeure partiellement étranger. Notre adaptation ne dépasse pas la connaissance que nous avons de sa proximité. Depuis notre jeunesse nous avons de appris à nous adapter ; cette adaptation concorde avec notre connaissance intime. Pour celui qui ne possède pas suffisamment cette qualité, ce sont les autres qui dérangent son équilibre. En évoluent en différents milieux, nous nous éveillons à la possibilité d’orienter les vibrations de manière à ce qu’elles ne nous incommodent plus. Nous apprenons à transformer sciemment nos réactions en sources d’influences. Ainsi les utiliserons-nous à notre profit.

  Je puis très bien me représenter ce qui arrive à celui qui est privé de sa liberté de choix, et se trouve devant un tableau qui le déconcerte. A cause de sa couleur, cette œuvre émet des vibrations. Celui qui ignore ce genre d’action s’y montrera d’abord réfractaire. Il se trouvera en disharmonie vis-à-vis de ce qui l’environne. Un sentiment de contrariété l’obligera à réagir afin de retrouver son équilibre. Il tentera de s’adapter, sinon de modifier son entourage. Mais celui qui a appris à s’adapter, qui est libre, regardera le tableau avec intérêt et s’imprégnera des vibrations émises. Si sa liberté est suffisamment grande, il s’ouvrira à des vibrations et , à un moment précis, il sera intuitivement en accord avec le créateur. Il trouvera l’œuvre à son goût et, prenant conscience de la problématique du peintre, se mettra à l’unisson de son message. Quant un spectateur réfractaire, il se détournera du tableau, ne changera point de niveau mental et deviendra stérile. Il n’existera que dans l’inconscient et dans les souvenirs qui le conditionnent. Or c’est dans la nouveauté que l’homme se découvre conscient. Le présent est la maison de son être ; à sa pointe extrême s’affirme son qui-vive; le reste est vécu inconsciemment, de façon incomplète. Chaque expérience nouvelle augmentera son éveil, car elle lui permettra de mesurer la différence qui le sépare des jalons précédemment marqués. Toutefois ceux qui sont imperméables à la nouveauté végèteront dans le souvenir ; et, bien que présents à nos regards, ils se tiendront dans l’éloignement. Ils furent.

  L’existence authentique vécue se fonde sur la connaissance. Privée de celle-ci, l’homme devient la proie des autres, le recul devant eux et lui-même étant pratiquement aboli. C’est dans la participation où s’éveille la conscience, que la vie trouve sa raison d’être. Mais combien de fois, au cours de sa trajectoire discontinue, l’homme peut-il se dire conscient? Si le jour, au lieu de compter douze heures, se réduisait à deux vibrations lumineuses ; si la rotation de la terre, elle augmentait de quelques millions de tours, le problème n’aurait pas de change puisque l’homme serait en harmonie avec cette condition nouvelle. Il s’agit donc d’un phénomène intérieur, non pas d’une situation extérieure.

  Rares sont ceux qui ont réussi à éterniser leur présence en forçant l’adimensionnel. Seuls y sont parvenus ceux dont les prises de conscience ont nourri leur art. Pour les générations futures, ils feront figures de contemporains. Ils auront pu rendre existentielles les valeurs fondamentales, et peu importe ici que le matériau utilisé soit le mot, la couleur ou la pierre. Mais si l’adhésion de l’artiste aux essences n’est pas assez forte, s’il demeure l’esclave des conventions de son époque, il disparaîtra dans le remous des modes. La crainte de ne pas exister en profondeur guide le créateur. Son instinct le porte à s’extérioriser grâce à un matériau sélectionnée, et, ce faisant à témoigner devant autrui de sa pérénité. Il s’administre ainsi la preuve qu’il EST et participe à l’adimentionnel où la durée suspends ses rythmes.

  En essayant de concrétiser les essences, à la fois hors du temps et de ses contingences, l’artiste permet à l’indéfinissable de se manifester, il structure l’immatériel. C’est ainsi que le créateur s’ accomplit dans une orientation délibérée.      

  Seuls ceux qui doutent, et ne sont point certains de leur réalité ont quelque chance d’ETRE, et cela parce qu’ils veulent affirmer l’autonomie de leur art. Niant les reflets qu’ils sont devenus dans la conscience des autres, ils se retranchent dans leurs profondeurs intimes où grâce à l’examen de leurs possibilités, ils tentent de formuler leur moi aussi concrètement que possible.

  Pour conférer à sa vie le poids d’un objet, pour rendre visible son effort, le peintre se convertira en quelque sorte en couleurs. Il déterminera ainsi sa perception de la lumière et traduira en valeurs tout l’indéfinissable de son domaine. Son but est, par conséquent, d’enclore son unité spirituelle dans la couleur et la lumière de celle-ci. Il rend l’essentiel existentiel par la vertu de son choix (et ce choix est l’affirmation de son effort). Il pénètre enfin dans l’adimension où ne bat plus la pulsation du temps.

Sa liberté toute entière s’y déploie.

 

Jef Verheyen

Weert – été ’59 (Jardin des Templiers)

 

 

essences – notions adimensionelles

 

l’Harmonie est statique

le statique est achrome

l’achrome se confond avec l’espace

l’espace est liberté

la liberté se fonde sur une essence

 

les essences sont indépendantes de la matière et du temps

feb.’58.

 

Die nu niet weet wat gisteren was,

weet vandaag niet wat nu is.

Hij ziet geen verschil tussen gisteren en vandaag,

houdt vandaag voor morgen en beleeft morgen vandaag, wat onmogelijk is.

Nochtans is het terwijl het was en morgen zal het nu zijn.

    ’59.

 

JEF VERHEYEN.

 

Published in

1959: Manifest Pour une peinture non plastique, 1959, p. 3-11 (ed. 75)
1960: Galerie Bernard, exh. cat., april 1960 (partly: starting from C’est dans la nouveauté que l’ homme se découvre conscient... until end: Sa liberté toute entière s’y déploie.)
1963: De Tafelronde 8 (1963) Nr. 03: p. 16-23
1965: MARDI SAMEDI n°4 Paris, mai 1965: p. 42. (partly: starting from Notre pensée oscille entre le blanc et le noir until end)
1971: Jef Verheyen - Szukalski - Knokke - Casino, exh. cat., Casino Knokke, 1971: n.p. (partly: starting from L’existence authentique vécue se fonde sur la connaissance until end.)